Aux adhérents impatients de connaître la suite de la conférence de Dominique
Laigle, je propose, comme une introduction à l'art islamique qui domine cette
deuxième partie, ce clip vidéo publié à l'occasion d'une exposition qui a eu lieu
à l'Institut du Monde Arabe.
Après nous avoir fait voyager des rives de la méditerrannée au désert,
Dominique
nous invite à explorer l'art islamique forgé, au Maroc, de multiples influences.
2- LA RICHESSE DE L’ARCHITECTURE
ET D’UN ARTISANAT TOUJOURS VIVANT
Carrefour des civilisations berbère, arabe et andalouse, le Maroc possède,
sans
doute, le plus riche patrimoine architectural et culturel du Maghreb. Les traditions
locales, absorbées et adaptées, servirent de base à l’art islamique qui se
développa à partir de l’architecture et de l’art décoratif romain, chrétien et byzantin.
A-
FÉS, ville impériale.
Fès est un centre religieux et universitaire. C’est une femme qui, en 859, y
érigea
le cœur spirituel et intellectuel de la médina. La Mosquée Qarawiyyin, avec ses
16 nefs et ses 270 colonnes, avec sa médersa est la plus vieille université du
monde islamique. De nombreux musulmans andalous contribuèrent au
développement de Fès qui devint capitale impériale du Maroc. La renommée
de Fès attira des savants d’Andalousie ou du Caire. La Médersa Bu ‘Inania,
fondée en 1357, est une université, école de théologie dépendant de l’autorité
religieuse, qui dispensait l’enseignement du Coran et des sciences et servait
aussi de foyer aux jeunes gens des campagnes.
Qarawiyyin Bou
Inania
Au 17ème siècle, on
dénombrait environ 8000 étudiants dans les différentes
médersas de la ville qui étaient des foyers culturels bouillonnants : on y
enseignait la théologie, la littérature, la poésie, la grammaire, la médecine et
les mathématiques. Les savants et les maîtres spirituels étaient à l’aise aussi
bien dans l’interprétation du Coran dans l’astronomie ou la généalogie. L’art
islamique développa, par rapport aux arts issus d’autres traditions religieuses
et culturelles, une spécificité. Parce que sa perspective ultime est l’Absolu
lui-même et non pas ses manifestations, l’art islamique a rejeté, en règle générale,
la solution iconique et le recours au naturalisme et à la figuration. C’est pourquoi,
ce sont la calligraphie et la décoration géométrique qui occupent les premières
places au lieu de la peinture, prééminente dans la tradition artistique chrétienne
où l’incarnation est importante. L’art maghrébin est, en
général, un art abstrait
avec des exceptions par exemple dans l’art de la miniature. Les zelligueurs
travaillent la céramique. Un zellige est un petit élément d’une marqueterie de
céramique émaillée, de formes géométriques diverses, servant au décor
monumental dans l’art maghrébin. Au début, il y a l’opération la plus délicate,
la découpe du zellige avec un marteau aiguisé, le menqach.
Le « maalem », maître artisan conçoit les formes et compositions des zelliges ;
les décors lui demandent adresse, patience et minutie. Il existe de petites
rosaces qui, à elles seules, exigent l’utilisation de 150 zelliges. Chaque lieu
décoré rivalise d’imagination dans l’agencement des motifs et atteint une
complexité étonnante, par exemple des étoiles à 8, 16, parfois 48 branches.
L’élégance des palettes utilisées révèle également l’importance de la couleur
dans l’art du zellige. Une harmonie froide sait s’enrichir de quelques notes
de couleurs chaudes où jouent les contrastes et tous les effets de la polychromie.
Bab Bou jeloud remparts de
Fès porte du palais royal
L’enceinte de la médina, percée de portes monumentales, offre quelques uns des
plus beaux exemples de l’art musulman du Maghreb. La Médina de Fès
(le vieille ville) est un étonnant dédale moyenâgeux. Fès El Bali fut fondée en
808 par le Sultan Idris II. L’architecture des villes, aux plans compliqués,
intègre le nécessaire accès à l’eau. La fontaine est un élément vital. L’eau est
l’objet d’un véritable culte. Elle est la vie, l’absolue pureté. Les fontaines de
zelliges sont une offrande sacrée, dans la médina. Les souks de la pittoresque
médina, aux nombreuses boutiques, offrent couleurs et odeurs, et la richesse
d’un artisanat toujours vivant.
Quartier des
tanneurs ébéniste
Dans le célèbre quartier des tanneurs, dans les tanneries et les ateliers de teinture
du cuir, les peaux sont encore tannées et teintes de manière traditionnelle.
On a creusé dans le sol de grandes cuves que l’on remplit de matières
tannantes (par exemple des déchets de la sylviculture, comme l’écorce du
chêne-liège…), puis dans lesquelles on plonge les peaux. Le cuir est également
teinté dans le même genre de cuves. Les hommes foulent les peaux, sans relâche,
dans ces bassins. Les écheveaux de laine sont teints dans les souks. Les senteurs
de cèdre sont omniprésentes au Maroc. Le cèdre est partout dans l’architecture.
Des caravansérails, hôtelleries pour les caravanes, permettaient d’accueillir les
voyageurs venus pratiquer le commerce dans la Médina.
B. – Marrakech – ville
impériale
Joyau des villes impériales du Maroc, et capitale berbère du Sud, Marrakech a
pour cadre les sommets enneigés de l’Atlas. Dernière oasis avant l’Atlas,
Marrakech surgit dans la plaine du Haouz, nichée au milieu de l’immense
palmeraie millénaire, entourée de murailles. La palmeraie compte près de
100 000 arbres. Marrakech sortit des sables en 1062. La ville fut, jusqu’en 1269,
la capitale de la dynastie berbère des Almoravides, puis des Almohades.
Elle conserve, dans toute sa pureté originelle, la structure médiévale de l’époque
de sa fondation. L’image des cigognes nichées au sommet d’un pan de mur,
près de la porte Bab Agnou, est familière. A l’intérieur de l’enceinte, la
majorité des constructions, palais ou demeures modestes, sont édifiés en terre.
Les remparts de Marrakech Bab
Agnou
La muraille d’enceinte ocre, haute de 8 à 10 mètres est jalonnée de 200 tours
carrées et percée de 7 portes (bab) qui permettent d’entrer dans la médina.
L’enceinte défensive de la ville, édifiée en pisé d’argile mélangé à de la
chaux et de la pierraille, s’étend sur 19km. Les portes monumentales
ouvertes dans la nudité des remparts apparaissent comme des enluminures
sur la terre ocre. Ces arcs ponctuent toute l’architecture marocaine.
La porte Bab Agnou, magnifique monument, offre une succession de 4 arcs,
que vient alléger un riche décor floral digne de la porte. La belle frise
calligraphique sculptée qui court dans l’encadrement est un élément
inséparable de la plupart des portes
marocaines.
Tempête
de sable à Marrakech
Sous le règne du sultan Yacoub el Mansour, au 12ème siècle, les
Almohades se
firent bâtisseurs et construisirent la mosquée de la Kutubiyya. Son célèbre
minaret, qui a servi de modèle à la Giralda de Séville, et à la tour Hassan de
Rabat, est sobrement décoré de briques et domine la place Djemaa el Fna.
La mosquée, inaugurée en 1158, est représentative de l’art hispano
mauresque. La Kutubiyya, ou « mosquée des libraires », doit son nom au
souk des marchands de manuscrits installés autrefois devant ses murs.
Le minaret est construit en grès rose. De base carrée, il s’élève à
77 mètres ; il est composé d’une tour et d’un lanternon, et surmonté de 3 boules
de cuivre doré, fabriquées, selon la légende, avec les bijoux de Zineb, l’épouse
de Yacoub el Mansour. Elles symbolisent : le monde terrestre pour la plus petite,
le monde céleste et le monde spirituel pour la plus grosse. Le
décor extérieur
du minaret combine peintures sur enduits et ornements floraux et calligraphiques,
réseaux d’entrelacs en relief et bandeaux de faïence. Les médersas déploient
leur décor de zelliges autour d’une cour géométrique flanquée d’un bassin
ou d’une fontaine à ablutions.
La cour de marbre et d’onyx est bordée de moucharabiehs, qui séparent
les parties communes et le quotidien, du sacré. Les galeries abritent des
chambres austères. Au fond, la salle de prières devient salle de cours.
Les soubassements et les piliers sont d’abord ornés de zelliges, puis viennent
ensuite des versets du Coran en écriture cursive sur du plâtre ciselé et le bois
ouvragé qui soutient les tuiles vernissées vertes. La
vie explose sur la place
Djemaa el Fna, centre névralgique qui offre splendeur, pittoresque et vie en
permanence, et où les conteurs, les musiciens, les acrobates, les charmeurs de
serpents captivent les badauds, et où les touristes marchandent.
Souk des
dinandiers souk des teinturiers
Marrakech possède la plus grande médina du Maroc. Dans les souks, qui
s’étendent sur 20 hectares, l’on rencontre une extraordinaire richesse
artisanale et une originalité exceptionnelle : un mode de vie ancestral perdure
derrière les remparts séculaires de Marrakech. Dans la
médina, les métiers
de l’artisanat s’ordonnent par quartier et par profession. La dinanderie est
l’art médiéval de la production d’objets en laiton coulé, et le travail artistique du
cuivre ou du laiton en feuille par martelage d’un dessin avec un clou, un marteau.
L’artisan façonne des objets qui répondent toujours à un besoin pratique.
Il travaille avec un outillage qui est le prolongement de sa main. La création
artisanale ne tombe jamais dans la répétition pure. Les écheveaux de laine
et de soie sèchent dans les souks. Le Maroc a une réelle richesse
artisanale
qui maintient des traditions séculaires, tout en se modernisant en permanence,
de l’inventivité et une adaptation continue aux besoins des marchés ainsi que
de solides attaches terriennes. Les habitants continuent de s'approvisionner
auprès des artisans
CONCLUSION
Le Maroc possède un patrimoine artistique unique, probablement, le plus riche
patrimoine culturel du Maghreb. La rencontre des civilisations berbère, romaine,
arabe et andalouse a donné au Maroc ses couleurs, et une extraordinaire richesse,
fruit de l’histoire, de la nature et, surtout, du travail des hommes.
Rabat tour Hassan Arc de triomphe
de Caracalla
Un philosophe grec a écrit : « L’intelligence est dans la main. »
La perfection
de ce travail aérien, aux mille arabesques, en est le témoin éblouissant.